Ces jours-ci, Louis Balthazar donne son dernier cours de la session d’hiver à l’Université du troisième âge de Québec (UTAQ). Le sujet ne surprendra pas ceux qui connaissent cet enseignant au long cours. La formation s’intitule Les fondements culturels et historiques de la politique étrangère des États-Unis. «J’ai vécu cinq ans à Boston, le temps d’un doctorat en science politique à l’Université Harvard, explique-t-il. Ma thèse portait sur les idées politiques de Louis-Joseph Papineau. Je me suis passionné pour ce pays. Je le suis toujours. Aux États-Unis, les choses évoluent constamment sous nos yeux.»
Toujours alerte, Louis Balthazar s’apprête à franchir le cap des 90 ans. Cet âge vénérable suscite le commentaire suivant de la coordonnatrice de l’UTAQ à la Direction générale de la formation continue de l’Université Laval, Johanne L’Heureux. «Monsieur Balthazar est dans notre programme depuis plusieurs années, dit-elle. Il est toujours aussi populaire auprès de nos étudiants. Présentement, il a un groupe de 122 participants et tous applaudissent sa vivacité intellectuelle.»
Sur le temps qui passe et la retraite du marché du travail, celui-ci dira que le besoin de rompre avec la carrière et d’explorer de nouvelles avenues dépend du parcours de chacun. «Ma passion, souligne-t-il, a toujours été l’enseignement. C’est une activité extrêmement stimulante qui, surtout, empêche de vieillir. Enseigner aide à vivre et à bien prendre la vieillesse. J’ai été chanceux d’avoir la santé pour pouvoir le faire. Enseigner demande des efforts. En même temps, cela apporte du plaisir et une joie de le faire. En ce qui concerne l’UTAQ, j’y suis depuis 1980. On ne se rend pas compte à quel point elle est riche, de ses contenus et de ses auditoires. C’est très stimulant.»
À la découverte des États-Unis
Louis Balthazar a commencé sa longue carrière d’universitaire au Département de science politique de l’Université Laval en 1969. Il y restera jusqu’en 1997. Ses principaux champs d’enseignement et de recherche ont été la politique étrangère des États-Unis, les principes de relations internationales, les relations canado-américaines, la politique étrangère du Canada et les relations internationales du Québec.
Après une maîtrise en littérature française obtenue en 1955, il décroche une première licence en philosophie en 1956 et une seconde en théologie en 1963. Il se tourne ensuite vers la science politique.
«Dans les années 1950, j’étais membre de l’ordre des Jésuites, rappelle-t-il. De 1956 à 1959, j’ai enseigné le français, le latin et le grec. Ce fut une époque turbulente. Nous étions tous impatients politiquement. Je lisais le New York Times dans ces années-là. Dans les années 1960, j’ai demandé à mes supérieurs la permission de faire un doctorat en science politique. J’ai été admis à Harvard, à Boston. J’aurais préféré étudier en France. Mais j’ai vu que les études politiques étaient beaucoup plus développées aux États-Unis.»
À son arrivée à Boston, l’attitude positive des Américains l’a fasciné. «Au Québec, pendant ce temps, on aimait chialer, poursuit-il. Un bon exemple du positivisme américain est la guerre du Vietnam qui commençait. Mes confrères d’études américains étaient tous favorables à l’engagement de leur pays dans le conflit. “Nous avons une responsabilité dans le monde”, disaient-ils.»
À cette époque, comme religieux catholique, Louis Balthazar portait le collet romain. Cette particularité l’a inquiété à son arrivée à Harvard. «C’était une université laïque, explique-t-il. Je me suis dit que mon séjour allait être difficile. Tout le contraire s’est produit. Je n’ai senti aucune hostilité. La liberté religieuse était très importante dans ce pays. Leur attitude fut très positive envers moi. It’s all right, disaient-ils. J’ai vécu de très belles expériences dans cette université. J’ai découvert un pays de grandes réalisations culturelles, et pas seulement en culture de masse.»
Expliquer le Québec
Ce long séjour à Boston ne sera pas le seul que Louis Balthazar effectuera au pays de l’Oncle Sam. Il sera conférencier ou participant à des colloques en 36 lieux de savoir répartis dans 23 États américains. Il fera de même dans une vingtaine d’autres pays. Le professeur sera également invité par les centres d’études canadiennes implantés dans une douzaine de pays. «Durant ma carrière, dit-il, j’ai expliqué le Québec aux Américains et au reste du monde, en plus d’expliquer les États-Unis aux Québécois et aux Canadiens.»
En 1969, il est engagé par l’Université Laval. «On m’a en quelque sorte sauté dessus, raconte-t-il. Je m’étais spécialisé en relations internationales et cette université n’offrait pas de formation à proprement parler sur la politique étrangère des États-Unis.»
Sa carrière de professeur invité commence par l’Université de Toronto en 1974. Une vingtaine d’établissements universitaires, au Canada comme à l’étranger, l’accueilleront entre leurs murs. Par exemple, à l’hiver 1980, on le retrouve à l’Université Johns Hopkins, aux États-Unis. À l’hiver 1986, il enseigne à l’Université de Bordeaux, en France. Plusieurs universités québécoises bénéficient également de son expertise.
Louis Balthazar est l’auteur de plusieurs dizaines d’articles scientifiques. Le plus récent avec comité de lecture est publié en 2009 dans une revue interdisciplinaire française, Études canadiennes, sous le titre La nation québécoise en évolution: la dynamique de la multiethnicité. Le professeur compte également plusieurs dizaines de collaborations à des volumes. La plus récente remonte à 2018. Il signe la préface d’Une réconciliation durable est-elle à la portée du Canada? un ouvrage de Pierre Joncas paru aux Presses de l'Université Laval. Il est aussi l’auteur d’une demi-douzaine de livres. Le plus récent est publié en 2013 chez VLB sous le titre Nouveau bilan du nationalisme au Québec.
Plusieurs fonctions, autres que celles liées à l’enseignement et à la recherche, jalonnent son parcours professionnel. De 2002 à 2013, il est président puis coprésident de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal. Avant cela, dans les années 1960, il est chargé de recherche pour la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme. De 1974 à 1981, il codirige la revue Perspectives internationales, du ministère des Affaires extérieures à Ottawa. Il est membre du Conseil supérieur de l’éducation du Québec de 1982 à 1986. De 1977 à 2005, il remplit la tâche de conseiller occasionnel auprès du ministère des Relations internationales du Québec. Il joue le même rôle auprès du consulat général des États-Unis à Québec de 1987 à 2005.
«Mon rôle de conseiller occasionnel m’a donné une idée du fonctionnement d’un gouvernement, soutient-il. J’ai vu que la prise de décision n’est pas toujours rationnelle. Au Québec, le gouvernement faisait la découverte du monde. Il n’avait pas l’habitude de ça. Surtout les gouvernements péquistes, qui pensaient plutôt à l’indépendance à venir et à quelles sortes de politiques on aurait. Avec eux, j’ai fait des enquêtes sur la perception du Québec. Quant au consulat américain, les consuls qui entraient en poste à Québec voulaient me rencontrer. J’avais publié, en 1986, la première édition du Bilan du nationalisme au Québec. J’ai été demandé pendant une vingtaine d’années.»
En 2007, le professeur Balthazar est nommé officier de l’Ordre national du Québec. Voici un extrait du texte qui lui est consacré sur le site Web du gouvernement du Québec:
«Spécialiste de la culture politique américaine, Louis Balthazar est souvent appelé à commenter publiquement l’actualité. Son approche franche et équilibrée influera sur plus d’une décision touchant le Québec. Conférencier très sollicité à l’échelle internationale, il nouera des collaborations avec une quarantaine d’établissements américains d'enseignement ou de recherche.»